Pour Malcolm Gladwell, l’engagement social, l’activisme sur les médias sociaux, est une légende. C’est un truc qui n’existe pas, pour une simple et bonne raison : notre web social est essentiellement composé de connexions dites faibles : des personnes que l’on aurait du mal à considérer comme des amis, des gens éloignés physiquement, et toute personne ne faisant pas réellement partie de nos sphères intimes. Et les connexions dites faibles ont pour particularité d’être d’excellents vecteurs d’information au sein d’un réseau social, mais d’être de bien piètres canaux de changement de comportement, en particulier en ce qui concerne l’activisme.
Je vous vois venir; vous allez me rappeler les élections Iraniennes, l’élection de Barack etc. Désolé, mais non : comparé aux révolutions et aux actions sociales qui ont eu lieu depuis un siècle, les twibbons et autres causes sont de bien piètres arguments d’efficacité. Pour ouvrir son article, Gladwell illustre la façon dont l’engagement, l’activisme et la manière dont ce comportement à forte implication (voir à risque) , fut une idée contagieuse lorsqu’en 1960, 4 étudiants noirs ont déclenché une véritable révolution dans tout le Sud des États-Unis, simplement pour s’être vus refuser un café à cause de leur couleur de peau.
Pour comprendre l’idée fondamentale de Gladwell sur le fait que les réseaux en ligne ne peuvent pas créer d’activisme, je vous propose de faire un court retour sur les notions de base des réseaux sociaux, leur structure (très vulgarisée) et sur la façon dont s’y propagent informations et comportements. C’est quand même là que réside toute l’idéation de la pensée de Gladwell.
Pendant des années, la « science des réseaux » a représenté les réseaux sociaux de façon théorique et très structurée : chaque personne d’un réseau était reliée à un même nombre de personnes que son voisin, et ainsi de suite. Il était ainsi possible de représenter un voisinage, une organisation ou une institution, d’une manière globale et simple.
Réseau aléatoire
Les réseaux aléatoires suivent le même modèle que les réseaux classiques : chaque point du réseau est relié à un nombre globalement similaire de points que les autres, à la différence que la distance entre chaque point varie grandement. Ce modèle tout aussi théorique permet de conceptualiser le fait que l’information transite de façon plus rapide d’un point géographique à un autre.
Le modèle du « petit monde », introduit par Ducan J. Watts, s’approche déjà plus de la réalité. Un réseau au sein duquel les connexions fortes avec certains points coexistent avec des points plus éloignés. Ainsi, en atteignant un point relié à un autre point éloigné, l’information nouvelle se propage plus rapidement, tout en conservant certaines propriétés des réseaux classiques.
Les réseaux sans-échelle, pour leur part, sont certainement les plus représentatifs de la vraie vie. Leur particularité est d’être composés de points possédant un nombre bien supérieur de connexions que le reste. Ces personnes sont surnommées des « hubs » et permettent à l’information de non seulement transiter rapidement lorsqu’ils les atteignent, mais également de toucher un plus grand nombre de personnes « simultanément ». Ces hubs sont majoritairement composés de liens faibles. En s’intéressant au Web, à la fin des années 90, les chercheurs Barabási, Albert et Jeong, découvrirent que les nœuds et les liens constituant le réseau des pages Web étaient répartis de façon très peu démocratique, et qu’ils suivaient une loi de distribution où 80% des pages observées obtenaient un nombre de 4 liens entrants ou moins, et que 0,01% des pages obtenaient un nombre de liens entrants supérieur à un millier. En comparaison avec la taille des individus, dont la distribution de la taille suit une loi de Poisson (répartition démocratique), Barabási et ses collègues se seraient retrouvés face à des personnes mesurant plus de cent pieds de haut, d’où appellation « scale-free », sans échelle.
Information et changement de comportement
Plus récemment, un professeur du MIT, Damon Centola, a réussi à prouver que les informations circulaient effectivement plus rapidement au sein des réseaux sans échelle et aléatoires, mais que concernant les comportements, les réseaux composés de liens plus forts étaient bien plus propices à être des vecteurs de changement (il utilise le terme « résidentiel » pour illustrer la proximité des membres du réseau). Par exemple, là où dans la sphère médicale africaine, les organisations internationales sont d’excellentes sources d’information pour la prévention des maladies, les communautés locales étaient bien meilleures quand il s’agissait de faire porter le préservatif à des populations bien souvent inconscientes du risque encouru.
Risque et coût de l’activisme
Pour Gladwell, l’activisme, la défense des idées par l’action, a un coût : un coût en temps, en argent ou en réputation. Et ce coût d’action, très faible en ligne, mène à un impact aussi significativement faible dans la réalité.
À l’heure actuelle, cette forme d’activisme, tendrement caractérisée de « slacktivism » (activisme mou) par Kerwin, est tout simplement surexploitée. Pour lutter contre le cancer du sein, Telus a offert un dollar pour chaque personne qui changerait sa photo de profil en rose. L’action a connu un rare succès, l’exécution de cette campagne était brillante et Telus a fait figure de véritable leader dans le monde caritatif en ligne. Bravo à eux, sincèrement.
Mais qu’en est-il du public concerné? A-t-on rempli notre besace de bonnes actions, simplement en changeant notre photo de couleur? Je ne crois pas. Et si, encore pire, en slacktivisant, on oubliait de satisfaire notre conscience sociale avec de vraies actions? Les 250 000 dollars versés par Telus représenteraient peut-être une perte ailleurs, pour les organismes de charité. (Ce n’est qu’une idée découlant des propos mentionnés ci-dessus, j’admire toujours autant cette campagne).
L’activisme en ligne n’est pas mort
La principale conclusion de Gladwell reste que la prise de position pour une cause est engendrée par une forte structure hiérarchique, une organisation cadrée et par la présence au sein d’un groupe de personnes connectées par des liens forts. D’Al Qaeda au Ku Klux Klan, en passant par la mafia, il présente les similitudes des structures accueillant des hommes prêts à mourir pour une cause.
Les réseaux sociaux, médias sociaux, ne sont pas l’endroit où ont lieu les réels mouvements de contestation et de lutte (à l’exception peut-être de rares cas, avec très peu d’impact réel, comme Nestlé). En revanche, leur potentiel pour l’organisation, la réunion, le leadership (même virtuel) et pour la cohésion n’est pas à prendre à la légère. La façon dont les messages se transmettent de façon instantanée est un atout stratégique dans les opérations de lutte et de contestation dans le monde réel que chaque organisme d’action ou de lutte contre certaines organisations devrait prendre en compte (flashmob ?).
Le « call-to action » doit être fort. Parce qu’il ne faut pas le nier : en termes d’activisme, notre génération croit remplir sa part avec un simple clic. Si la conviction n’est pas présente, ce n’est pas Facebook qui la fera réellement naître.
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