Denis Monière
Les raisons profondes de faire
L’indépendance du Québec
L’Action indépendantiste du Québec
juillet-août 2000
Denis Monière est professeur de sciences politiques à l’Université de Montréal.
Pourquoi refuser d’être Canadien? Pourquoi vouloir un Québec souverain ? Quels sont les arguments qui sont employés pour justifier le changement de statut politique du Québec ?
L’argument clé consiste à soutenir qu’historiquement et sociologiquement, la population québécoise forme un peuple qui, dans le cadre du système politique canadien, ne peut exister qu’à titre de minorité ethnique, ce qui implique que le peuple québécois ne peut se diriger lui-même et que son destin est dépendant de la majorité canadienne.
Accepter le statut de minorité ethnique signifierait que la communauté francophone qui est massivement concentrée sur le territoire du Québec renonce à l’égalité politique avec la majorité anglophone et remette son sort entre les mains de cette dernière. Cette subordination impliquerait aussi qu’elle renonce à son identité spécifique et qu’elle se fonde dans l’identité nationale canadienne.
L’évolution du statut d’une langue est une question de rapport de forces démographique et politique et ne peut être laissée aux hasards des ambitions individuelles. Comme le Québec est le seul territoire où les francophones sont en majorité et peuvent contrôler un gouvernement et puisque la plupart des Québécois s’identifient d’abord et avant tout comme Québécois, il revient à l’État du Québec d’assurer la promotion de la langue française et de l’identité québécoise.
Or, cette exigence est inconciliable avec le nationalisme canadien qui non seulement refuse de reconnaître l’existence du peuple québécois mais qui combat activement l’affirmation identitaire québécoise.
Pour sortir d’un système de domination
Les souverainistes considèrent que le Canada est fondé sur une oppression nationale et que la constitution canadienne n’a pas de légitimité historique puisqu’elle a été adoptée par un parlement étranger pour satisfaire les intérêts de l’Empire britannique et qu’elle n’a jamais été ratifiée par le peuple.
Cet argument de l’absence de légitimité a été repris plus récemment à la suite du rapatriement de la constitution en 1981-1982 qui a eu pour effet d’imposer une formule d’amendement et une charte des droits sans que la population ne soit consultée et en dépit d’un désaccord formel et bipartisan de l’Assemblée nationale du Québec.
La domination politique du Québec à l’intérieur du système canadien va de pair avec l’évolution démographique du Canada car la proportion de la population québécoise diminue constamment dans l’ensemble canadien. On peut désormais gouverner le Canada sans tenir compte du Québec.
Pour rendre la gestion des affaires publiques plus rationnelle
Le discours souverainiste entretient et renouvelle périodiquement son arsenal de critiques du fonctionnement du fédéralisme canadien.
On dénonce les tendances à la centralisation, à l’uniformisation, les effets structurels délétères sur le développement économique du Québec, les conflits de juridiction qui nuisent à l’efficacité de la gestion du bien public, les abus du pouvoir de dépenser, les réductions des paiements de transfert, les iniquités dans les subventions, etc.
Il s’agit de démontrer que non seulement le Québec n’a pas les pouvoirs suffisants pour assumer des responsabilités normales d’un Etat national, mais aussi qu’il y a de nombreux chevauchements de compétences entre les deux paliers de gouvernement et que le gouvernement fédéral a tendance à s’ingérer de plus en plus dans les champs de juridiction provinciale afin d’imposer des politiques et des normes nationales qui restreignent d’autant l’autonomie des provinces.
Le rapport de la Commission Bélanger-Campeau illustre parfaitement ces critiques. On y soutenait entre autres que les conflits de juridiction nuisaient à l’assainissement des finances publique et que la concurrence entre les deux niveaux de gouvernement produisait du gaspillage de ressources et des incohérences dans les politiques publiques.
La plus récente manifestation de ces dédoublements fut les bourses du millénaire qui dédoublaient le système québécois des prêts-bourses. Le fédéralisme, aux dires des souverainistes, engendre donc un déficit de rationalité que la souveraineté pourrait corriger.
Un État souverain donnerait aussi aux Québécois le contrôle des leviers de développement économique et social. Le Québec ne serait plus à la merci du gouvernement fédéral qui change unilatéralement les règles du jeu et réduit d’autant l’efficacité des politiques québécoises.
Pour améliorer le fonctionnement de la démocratie
L’État canadien ne satisfait pas les hautes exigences d’une société démocratique. C’est d’abord une monarchie et même si on nous dit que celle-ci n’est que symbolique, il en découle Implicitement une conception dirigiste du gouvernement.
Le déficit démocratique se manifeste aussi dans les déséquilibres entre les ressources financières qu’accapare le gouvernement fédéral et les responsabilités qu’ont à assumer les provinces qui, elles, n’ont pas les revenus nécessaires pour remplir leurs obligations. Les services les plus coûteux sont de juridiction provinciale alors que les provinces n’ont pas les capacités fiscales et financières.
Raisons pour l’indépendance
Contrairement à ce que prétendent les fédéralistes, la constitution des grands ensembles économiques est compatible avec la souveraineté des petites nations. Plus les tendances à la mondialisation économique s’affirment, plus les espaces politiques tendent à recouper les identités nationales.
Ce phénomene est attesté par l’émergence d’un grand nombre de nouvelles nations. Plus les centres de décision s’internationalisent, plus une nation doit être présente pour faire valoir ses intérêts et participer aux décisions.
Pour débloquer l’impasse constitutionnelle
Depuis le rapatriement unilatéral de la Constitution, le fédéralisme n’est pas réformable. Après quarante ans de négociations constitutionnelles, tous les partis qui se sont succédé au pouvoir ont échoué dans leurs tentatives d’obtenir une révision du partage des pouvoirs.
Au lieu d’accroître ses champs de juridiction, le Québec a au contraire perdu la maîtrise de la politique linguistique, de la politique sociale et de la politique culturelle. L’introduction de la Charte des droits et les différents jugements de la Cour suprême ont réduit l’autonomie provinciale comme une peau de chagrin.
Les autorités politiques canadiennes et les Canadiens veulent un système où le gouvernement fédéral se comporte comme un gouvernement national et décide pour l’ensemble du Canada. Il n’y a donc plus d’espoir et d’espaces pour la thèse du statut particulier. Les Canadiens jugent inacceptable un fédéralisme à géométrie variable. Le fédéralisme ne peut plus être réformé dans le respect des besoins du Québec.
Pour ne plus être minoritaire
Tout en étant conjoncturellement pertinents, ces arguments évoqués précédemment ne sont pas fondamentaux. Le vice fondamental du fédéralisme canadien est qu’il ne permet pas de réconcilier le besoin d’identité collective et le désir de liberté individuelle, qu’il enferme l’individu dans la logique de l’ethnicité et fait du Canadien français un être enchaîné au carcan de la survivance.
Cette situation n’a rien de stimulant, rien qui invite au dépassement de soi ou qui pousse à l’audace créatrice. À ce destin replié, courbé sous les vents de l’histoire et écrasé par l’infériorité numérique, le souverainiste préfère les risques de vie qu’offre l’indépendance.
C’est le sens de l’appartenance, la définition de l’identité qui est l’enjeu majeur de la souveraineté où nous avons à choisir entre le statut de minorité et le statut de peuple.
Que sera la nation québécoise ?
L’indépendance politique nous ouvrira les portes de la modernité. Après deux siècles de subordination politique, nous retrouverons tous les pouvoirs indispensables pour construire une société qui nous ressemble.
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