L’indépendance est réalisable car elle ne dépend que de la volonté majoritaire du peuple québécois et non de l’accord du Canada dont le régime politique ne peut être réformé.

1. Québécois d’abord ou exclusivement

Traditionnellement les opinions des Québécois quant à leur avenir national se sont partagées entre trois options.

  • Les « Canadiens d’abord » sont des inconditionnels de l’appartenance au Canada quelles qu’en soient les conditions. On y retrouve la plupart des anglophones, certains allophones ayant choisi d’appartenir à la nation canadienne plutôt qu’à la nation québécoise et quelques leaders francophones canadianisés comme Pierre-Elliot Trudeau ou Jean Charest.
  • Les « Québécois d’abord » ou « également Québécois ou Canadiens » regroupent tous ceux qui se considèrent membres de la nation québécoise, sans nécessairement appuyer une rupture avec l’État canadien, mais en prônant une réforme du régime politique canadien qui offrirait davantage d’autonomie aux Québécois. Ils incluent la plupart des premiers ministres du Québec, d’Honoré Mercier à Robert Bourassa.
  • Finalement, les « Québécois exclusivement » regroupent les souverainistes et indépendantistes qui proposent de faire du Québec un pays, avec ou sans association économique avec le reste du Canada.

L’option « Canadien d’abord » a toujours été extrêmement minoritaire au Québec, oscillant dans les sondages autour de 30% de la population et seulement 20% des francophones. Le graphique suivant résultant de sondages CROP des 10 dernières années témoigne que la tendance à la décanadianisation du Québec se poursuit.

Chez les francophones, le tableau est encore plus frappant1 : 1%  Canadiens seulement; 7%  Canadiens d’abord; 
20%  Également Canadiens et Québécois;
 40%  Québécois d’abord; 31%  Québécois seulement. Chez les jeunes francophones de 18 à 24 ans, le nombre de « Québécois d’abord » ou de « Québécois exclusivement » atteint 77 % (13% égal et 8,4% canadien d’abord)

Or, les résultats du référendum de 1995 ont démontré qu’une majorité des « Québécois d’abord » ont soutenu le camp du « oui » puisque l’appui chez les francophones à la souveraineté a atteint environ 60% (49, 4% pour l’ensemble de la population). L’objectif de Cap sur l’indépendance est donc de faire en sorte que les « Québécois d’abord » deviennent des « Québécois exclusivement ».

2. La constitution canadienne est illégitime au Québec

Revenons au point de départ. Lorsque vers 1860, on commence à parler de « confédération », le Québec, fusionné de force au Haut-Canada loyaliste par l’acte d’Union de 1840, subit le plan de Lord Durham : mettre en minorité les Canadiens français et ce pour leur propre bien. Pour ce faire, on a imposé l’égalité du nombre de députés bien que la population du Québec représente alors 60% de l’ensemble.

La création du Canada en 1867 va poursuivre cette visée en regroupant les provinces britanniques où les francophones composeront à peine un tiers du nouvel ensemble. Dès le départ deux visions nationales s’opposent et celle du plus fort dominera. Le Canada ne sera ni une « confédération », ni une fédération, mais une quasi-fédération où l’État central dispose des pouvoirs « d’intérêt national » (lire « intérêt de la nation « canadian ») et les provinces des responsabilité « locales » pouvant être désavouées de multiples façons par l’État central.

Le système conçu en 1867, fut approuvé par un simple vote de 26 à 22 des députés francophones, sans aucune consultation de la population. D’un côté, Georges-Étienne Cartier se laisse tromper par l’image d’un pacte constitutionnel entre deux nations (notion qui sera invalidée plus tard), alors que d’autres députés québécois, tel Joly, affirment au contraire que les pouvoirs locaux « ne seront que les délégués d’autorité du pouvoir central», pendant que Dorion soutient « que l’élément francophone sera complètement submergé par la majorité des représentants britanniques ».

En 1982, les conditions posées par Québec au rapatriement de la constitution sont refusées. Fait crucial, la Cour suprême du Canada statue que le consentement du Québec n’est pas nécessaire à cette opération, mettant ainsi fin à la théorie du « pacte entre deux peuples fondateurs » qui avaient convaincu certains députés francophones de voter pour la constitution de 1867.

Le rapatriement de la constitution, l’adoption d’une formule d’amendement (où le droit de véto du Québec n’est plus requis) et l’enchâssement dans la constitution d’une Charte des droits (niant la loi 101 et enchâssant le principe du multiculturalisme) sont imposés sans l’accord de la population du Québec et sans qu’on se préoccupe du refus d’y adhérer de tous les gouvernements du Québec à ce jour. La loi constitutionnelle de 1982 met en place de nouveaux outils de centralisation, comme en témoigne la majorité des décisions de la Cour suprême depuis.

En résumé, jamais les lois constitutionnelles qui nous régissent n’ont été acceptées par la population du Québec ou par les divers gouvernements de notre État national depuis 1867. Le carcan constitutionnel ne se maintient que par inertie, à cause principalement de la division entre autonomistes et souverainistes, entre « Québécois d’abord » et « Québécois exclusivement ». La constitution ne sera légitime que lorsque la population du Québec se sera donnée une loi constitutive du pays du Québec. Lorsque l’État-nation du Québec sera devenu un État complet, maitre de son destin.

3. Le fédéralisme renouvelé est une illusion

Ce qui précède démontre que, dans l’ensemble, les Québécois veulent, soit l’indépendance complète, soit la récupération par leur gouvernement national d’un nombre substantiel de compétences actuellement détenues par l’État canadien. Or, cette dernière option, l’autonomie, est une illusion.

On ne refera pas ici l’histoire des multiples tentatives de renouvellement du régime canadien depuis l’adoption de la constitution de 1867, lesquelles ont débuté tôt après 1867 jusqu’à l’échec des accords du Lac Meech en 1990, suite à quoi l’appui à la souveraineté a atteint un sommet de 67%. Toutes ces tentatives de satisfaire les aspirations autonomistes du Québec se sont avérées vaines. À un point tel que dans le camp fédéraliste, plus personne n’ose parler de renouvellement du régime politique canadien. Les fédéralistes n’ont plus rien à demander, sauf de vagues arrangements administratifs. Par conséquent, ils n’obtiendront rien.

Face aux revendications exprimées et maintes fois renouvelées par les Québécois, quelles ont été jusqu’ici les réponses du Canada? Le programme des commandites, la Loi sur la clarté et la pseudo-reconnaissance de la nation québécoise.

Les seules réponses jusqu’ici offertes par la fédération canadienne sont foncièrement incompatibles avec les aspirations du Québec comme nation. En voici la raison principale : 20 ans après Meech, l’opinion canadienne anglaise est radicalement contre tout changement à un régime qui la sert bien. Aucun politicien ne peut aller à l’encontre d’une volonté dominatrice aussi manifeste de la majorité « canadian ». En mai 2010, le Bloc québécois et les IPSO ont commandé un sondage pour connaitre les opinions des Québécois et des Canadiens-Anglais sur cette question. En voici les principaux résultats :

  • Alors que 73 % des Québécois souhaitent que la constitution canadienne reconnaisse que le Québec forme une nation, 83 % des Canadiens sont en désaccord.
  • Bien qu’une très forte majorité de Québécois (82 %) souhaitent que le Canada amorce une nouvelle ronde de négociations afin de trouver une entente constitutionnelle satisfaisant le Québec, plus de 6 Canadiens sur 10 (61 %) se disent en désaccord avec cette idée.
  • Près de 3 Québécois sur 4 (73 %) sont d’accord pour un nouveau partage des pouvoirs et des ressources entre Québec et Ottawa, alors que 71 % des Canadiens sont en désaccord.
  • Dans une proportion de 82 %, les Québécois sont d’avis que le gouvernement québécois devrait disposer de plus de pouvoirs pour protéger la langue et la culture françaises sur son territoire alors que 69 % des Canadiens se disent en désaccord.
  • Bien que 90 % des Québécois croient que le gouvernement du Canada devrait respecter les dispositions de la loi 101 qui fait du français la seule langue officielle sur le territoire du Québec, 74 % des Canadiens manifestent leur désaccord.
  • Dans une proportion de 62 %, les Québécois estiment que le Québec a le droit de se séparer du Canada contre 70 % des Canadiens qui sont d’un avis contraire.
  • Pour 75 % des Canadiens, une majorité de 50 % des voix plus une est insuffisante pour que le Québec devienne souverain; 89 % des Canadiens sont d’avis qu’il appartiendrait au Canada de déterminer la majorité requise dans un référendum sur la souveraineté du Québec.
  • 45 % des Canadiens sont d’avis que le Canada doit refuser de négocier la souveraineté du Québec, suite à un OUI gagnant lors d’un référendum sur la souveraineté.

Ces résultats démontrent on ne peut plus clairement la relation de dominant à dominé qui hante l’esprit d’une majorité de Canadien-Anglais. On note un manque de respect total envers la nation québécoise qui, pourtant, a un droit absolu de choisir son avenir national. Cette attitude est confortée par la redéfinition du Canada qui se voit comme une société multiculturelle, principe maintenant inscrit dans la constitution, où le concept des « deux peuples fondateurs » est absent. Les Québécois n’apparaissent plus alors qu’en tant que simple minorité ethnoculturelle parmi d’autres; une minorité au statut comparable à celui des Chinois de Vancouver, des Pakistanais de Toronto ou des Ukrainiens des Prairies.

S’ajoute à cette attitude impérialiste et à ce « nouveau » Canada, le cadenas juridique fermé à double tour qui régit les amendements constitutionnels au Canada depuis le rapatriement de la constitution en 1982. Pour le moindre changement à la constitution, il faut désormais l’accord de 7 provinces représentant ensemble plus de 50% de la population canadienne. De plus, avant de donner leur accord, il est probable les gouvernements des provinces voudront consulter leur population par référendum, consultation dont on connait à l’avance le résultat.

4. La nation québécoise peut seule décider de son avenir politique

Le Québec a exercé deux fois son droit de décider lui-même de son avenir national, en 1980 et en 1995. L’appui au droit à l’autodétermination a toujours été presque unanime au Québec, autant de la part des souverainistes que des autonomistes. À titre d’exemple, lors du débat autour de la Loi de clarification du tandem Chrétien-Dion, visant à limiter le droit à l’autodétermination du Québec, Claude Ryan rappelait très clairement en 1997 : « Au cours des quatre dernières décennies, l’Union nationale, parti d’orientation nationaliste maintenant disparu, a remporté la victoire une fois (1966) aux élections générales ; le Parti québécois, représentant l’option souverainiste, a remporté la victoire à trois reprises (1976, 1980, 1994) ; le Parti libéral, représentant l’option fédéraliste, l’a emporté à quatre reprises (1970, 1973, 1985, 1989). Fait à noter : l’affirmation du droit du peuple québécois à disposer librement de son avenir était inscrite dans le programme de chacune de ces formations politiques2 ».

Par la Loi de clarification, adoptée unilatéralement par le Parlement fédéral contre la volonté de la majorité des députés du Québec à Ottawa et de l’Assemblée nationale, Ottawa voudrait se donner le droit de ne pas reconnaître la volonté collective de la nation québécoise, en s’arrogeant le droit de décider unilatéralement que le vote ne serait pas clair. Il faut prendre cette loi pour ce qu’elle est, une manœuvre politique dont le but principal est de faire peur, de semer des attitudes d’impuissance et de résignation dans la population québécoise en faisant apparaître l’accession à la souveraineté comme vouée à l’échec, ou du moins comme une entreprise aussi risquée que la réforme du régime fédéral.

Il n’y pas d’autre réponse possible à cela que la loi du Québec sur les droits fondamentaux du peuple québécois et les prérogatives de l’État du Québec (connue sous le nom de projet de loi 99) qui implique un droit unilatéral de déterminer les pouvoirs du Québec et au besoin de rapatrier toutes les prérogatives d’un État souverain.

Deux avis majeurs confortent le Québec dans son droit de décider de son indépendance. Le 22 juillet 2010, la Cour internationale de Justice (CIJ) a émis un avis consultatif qui établit la légalité de la déclaration unilatérale d’indépendance (DUI) du Kosovo du 17 février 2008. Cet avis apporte un appui de taille à la loi 99 de l’Assemblée Nationale du Québec qui affirme que «seul le peuple québécois a le droit de choisir le régime politique et le statut juridique du Québec ».

Dans son jugement, la CIJ écarte complètement la pertinence du droit de la Serbie, l’État prédécesseur, qu’il s’agisse de la Constitution ou de toute autre loi ou règle de droit de cet État. Le droit de la Serbie n’est examiné à aucun endroit dans le jugement. Il s’agit d’un précédent majeur pour le Québec, qui écarte tout aussi complètement la pertinence de la Constitution canadienne ou de la Loi sur la clarté dans l’évaluation d’une éventuelle DUI québécoise au regard du droit international. Une DUI peut être légale en droit international, nous dit la CIJ, qu’elle soit justifiée ou non par le droit interne d’un pays faisant l’objet d’une sécession.

Le raisonnement de la CIJ converge d’ailleurs avec celui de la Cour suprême du Canada elle-même. Dans son avis sur le Renvoi, celle-ci ne s’est pas contentée de dire que le droit à la sécession d’une province n’est pas prévu dans le cadre du droit canadien, ce qui n’a surpris personne à l’époque. Elle a imposé une obligation de négocier en droit canadien au Canada et au Québec suite à un référendum en faveur de la souveraineté. Elle a même ajouté qu’à défaut d’une entente le Québec pourrait adopter une DUI qui pourrait être reconnue par d’autres États. Sans le dire ouvertement, la Cour suprême a laissé entendre qu’une telle DUI pourrait être conforme au droit international. Sur ces deux points, qui sont essentiels, les avis de la Cour suprême et ceux de la CIJ sont convergents, ces derniers étant toutefois plus explicites.

Le raisonnement de la CIJ est également proche de celui d’un avis fourni collectivement par cinq juristes réputés à une commission parlementaire spéciale de l’Assemblée nationale qui a siégé en 1991-92 suite au rapport de la Commission Bélanger-Campeau. Ces juristes ont conclu à l’unanimité que le Québec pouvait accéder légalement à l’indépendance au regard du droit international et conserver la totalité de son territoire.

L’accession à l’indépendance du Québec ne dépend pas de l’acceptation ou du refus du Canada, contrairement à ce que clament les ténors fédéralistes. Malgré des contextes différents, le cas du Kosovo nous montre qu’une fois épuisée la possibilité d’un divorce à l’amiable, c’est en définitive au peuple concerné et à ses représentants légitimes que revient la décision, unilatérale au besoin, de déclarer son indépendance.

Nous sommes rendus là. À nous de décider de notre indépendance!

Notes

1. Données regroupées par Jean-François Lisée : « La décanadianisation du Québec s’accélère », L’Actualité, 16 janvier 2011

2. Claude Ryan, « L’avenir du Québec ne peut être soumis au veto du reste du Canada », Le Devoir, 4 février 1997, p. A9.